CES2020: the emergence of a Good in Tech trend?

Christine Balagué, Professeur, Institut Mines-Télécom Business School et co-titulaire de la chaire Good in Tech

31/01/2020

Le CES (Consumer Electronic Show) n’est généralement pas connu pour ses positions sur l’impact responsable et éthique des technologies sur la société. Malgré la présence même du mot « consumer » dans son appellation, le CES reste l’un des plus importants évènements mondiaux d’industriels présentant leurs dernières innovations technologiques.  Alors, dans son édition 2020 qui s’est tenue du 7 au 10 janvier à Las Vegas, que peut-on retenir dans une vision Good in Tech ?

1. La Privacy est un impératif stratégique pour les grands acteurs du numérique

La privacy a été considérée comme le sujet le plus « chaud » du CES2020 par CNN Business. On peut effectivement noter une place importante réservée par le CES aux enjeux de privacy et de transparence lors d’une session spéciale regroupant les Chief Privacy de Facebook (Eric Egan), d’Apple (Jane Horvath), de Procter and Gamble (Susan Shook), et Rebecca Kelly Slaughter de la FTC, celle-ci ayant imposé en 2019 une amende de 5 milliards de dollars à Facebook pour justement ses atteintes à la privacy.  Les intervenantes étaient toutes des femmes… la présence du régulateur est révélatrice, et la mise en place d’un équivalent RGPD aux US a même été évoqué par Apple !

Amazon, dont un stand imposant au CES2020, présentait les différents usages possibles d’Alexa au sein de différentes pièces d’une maison connectée, ainsi qu’une belle Lamborghini connectée à Alexa. Amazon a également annoncé la possibilité que les utilisateurs de ses caméras de sécurisation du domicile refusent par opt out les requêtes de la police sur les vidéos de ces caméras. 


Ces annonces cherchent à répondre aux virulentes critiques ces dernières années envers les GAFA concernant leur atteinte à la vie privée via leurs technologies (affaire Cambridge Analytica pour Facebook, enregistrements de conversations personnelles par les assistants vocaux Google Home et Alexa d’Amazon, accès aux vidéos par les services de police pour les caméras de surveillance pour la sécurité du domicile d’Amazon. Les fortes amendes de la FTC envers Facebook ainsi que de la commission européenne envers les GAFA, les risques de non acceptabilité des technologies data intrusives par les consommateurs, et l’atteinte à la réputation des grandes entreprises américaines du numérique ont clairement entraîné une forte communication de ces acteurs sur les enjeux de privacy envers les utilisateurs et sur les solutions mises en place.

Les Big Tech ont fait également plusieurs annonces au CES2020 sur la privacy. Google, essentiellement présent avec son assistant vocal Google Home et le slogan « Hey Google », permet désormais aux utilisateurs de supprimer de manière simple les conversations récentes (par exemple, l’utilisateur peut demander à Google Home de supprimer ses enregistrements sur la semaine passée, ou lui demander de ne pas enregistrer que ce qu’il vient de dire). De même, l’utilisateur peut directement demander à Google Home les données audio utilisées par le système.

Facebook a aussi présenté la nouvelle version de son « Privacy Check up » permettant aux utilisateurs de contrôler les personnes accédant au contenu qu’ils partagent, de voir comment l’information est utilisée, et de pouvoir améliorer la sécurité de leur compte.


2. La 5G, le nouveau champ de bataille sur la privacy

Même si les grands acteurs américains du numérique semblent avoir intégré dans leurs produits un plus grand respect de la privacy, l’arrivée et le déploiement de la 5G dans les différents pays du monde font croître très fortement les risques accrus d’atteinte à la vie privée sur les consommateurs de technologies mobiles. Présents au CES2020, les régulateurs américains, que ce soit la FTC ou la FCC ont souligné la limite des régulations face à l’accélération technologiques et aux nouveaux usages. Les nouvelles expériences utilisateurs via les supports mobiles liées à l’arrivée de la 5G, ainsi que les infrastructures de Cloud correspondantes, vont complexifier le respect de la vie privée. Faudra-t-il repenser la privacy dans les architectures de cloud ? De plus, un « proxy » digital de chaque utilisateur de la 5G existera dans le cloud, image de l’ensemble des données collectées quotidiennement via les usages mobiles, générant des enjeux majeurs de sécurité, de limitation d’accès et de régulation dans les prochaines années.


3. Des technologies Good in Tech

L’une des technologies qui a reçu le CES2020 innovation award est le téléphone BOB (Block on Block), développé par Pundi X, le plus large réseau décentralisé de vente de crypto monnaie. Ce téléphone développé à Singapour utilise un operating system en open source et repose sur une blockchain. En conséquence, toutes les tâches effectuées sur le téléphone, toutes les données de messagerie, de navigation, d’appels téléphoniques passent par un système décentralisé assurant le respect de la vie privée. 

S’appuyant du cryptage de données, la start up française Cosmian a développé une solution assurant la Privacy By design et permettant aux entreprises utilisant des données de multiples sources d’en préserver la sécurité et la privacy.  

L’édition 2020 du CES avait également réservé un espace sur les technologies « resilience » (qu’on peut traduire par résistantes en français). Cet espace mettait en avant des innovations comportant des technologies répondant à des enjeux de société, comme la santé, l’environnement, la sécurité dans les transports (comme le « smart urban helmet »). Ces innovations portent sur des alternatives alimentaires (substitut du porc ou encore d’huile de palme), sur le recyclage de l’eau, sur la production d’une eau propre, ou encore sur le recyclage de l’eau des climatiseurs. Les start ups hollandaises étaient aussi particulièrement actives sur ces enjeux Tech for Good.
 

Cependant, la place attribuée à aux technologies « resilience » était non seulement insuffisante, mais se situait au fin fond de l’un des grands bâtiments du CES, reflétant la relative faible importance accordée par le CES à la tendance tech for good. On peut espérer une amélioration l’an prochain, puisqu’ en 2021, le CES annonce un Global Tech Challenge avec la banque mondiale et une visibilité plus forte à ce courant d’innovations technologiques répondant à des enjeux majeurs du monde contemporain.
Enfin, les secteurs de la santé et du transport étaient très présents au CES2020. Dans le secteur des transports, le principal focus porte sur la mobilité électrique dans le transport (véhicule autonome, shuttle, avion) et l’optimisation des transports dans les smart cities. Dans la santé,  de nombreuses solutions à base d’objets connectés, de simulation ou d’algorithmes de recommandations dans le secteur de la santé cherchent à répondre à des problèmes de société (par exemple les manque de sommeil). Dans ce secteur, le respect de la diversité et des genres constituent un fort enjeu, comme l’a montré les résultats de la société Kantar.   

 


4. Des technologies qui rentrent dans nos vies privées de manière naturelle

L’un des faits marquants du CES2020 est l’intrusion croissante des technologies à chaque instant de notre vie quotidienne. La collective massive et à tout instant des données, la prise de décision à base d’intelligence artificielle, l’intégration de l’intelligence artificielle dans la plupart des produits et services introduisent la technologie à tout instant de la vie des individus. A titre d’exemple, la start up israélienne Talamos propose un algorithme d’intelligence artificielle permettant de prédire les actions des individus. L’explosion des technologies vocales et leur facilité d’usage entraîne de nouveaux usages à domicile dans un environnement smart home.  Google Home a atteint plus de 500 millions d’utilisateurs, et Alexa peut se connecter à des milliers d’objets connectés. La 5G va probablement par sa puissance et sa simplicité d’usage accélérer l’interconnexion des objets connectés quasiment en temps réel et créer de nouveaux usages, mais en même temps une collecte de plus en plus massive de données sur les utilisateurs. Le véhicule connecté puis autonome devient un lieu de loisir (Netflix s’y intéresse) mais aussi un lieu de technologies de reconnaissance faciale pour prédire les émotions des passagers ou du conducteur… Enfin, la présentation de Neon au CES2020, projet d’avatars humains développé au sein du laboratoire d’innovation de Samsung, potentiellement exploitable dans de nombreux secteurs (recrutement, santé, relation client etc..) pose de forts questionnements sur la manipulation potentielle des utilisateurs. Les technologies de reconnaissance faciale de plus en plus performantes risquent de se déployer dans de nombreux lieux publics. Dans ce contexte, les enjeux au cœur des travaux de la chaire Good in Tech sur la privacy, sur les biais et effets de discrimination des algorithmes, sur la transparence et l’explicabilité de ces systèmes technologiques.

Un autre phénomène est la présence de plus en plus forte au CES2020 de grandes multinationales de produits de grande consommation non issues du monde de la technologie. Procter & Gamble par exemple, a animé une conférence sur le biais des algorithmes d’analyse de vidéos de brossage de dents de milliers de consommateurs dans le monde, montrant la nécessité de débiaiser leurs algorithmes pour avoir une recommandation optimale dans leur brosse à dent connectée OralB.  La marque Pampers (de Procter & Gamble) exposait des couches bébés connectées. D’autres entreprises, comme Bosch par exemple, utilisent les technologies pour se diversifier sur de nouveaux marchés. Bosch présentait au CES2020 un shuttle électrique et des services de gestion d’une maison connectée, bien loin du marché des machines à laver… De nouveaux usages grand public comme le smart food management ou encore l’utilisation de robots pour déléguer des tâches (comme la livraison du pressing) sont nombreux.  Au final, le constat est que les entreprises de grande consommation ou de biens durables intègrent réellement les technologies numériques aujourd’hui, en développant de nouveaux usages.

 


5. Future of work

La question de l’impact des technologies sur le travail et l’emploi a été aussi l’objet d’un débat entre Gary Shapiro, président du CES, et Ivanka Trump, la fille du président américain et sa conseillère. Des programmes de formation ont été lancé dans différents états, en partenariat avec des entreprises technologiques américaines, pour anticiper les évolutions de postes et former ceux qui vont être dans leur métier remplacés par des technologies. L’enjeu de « reskilling » en priorité les américains est prioritaire. Le discours tenu est de responsabiliser les entreprises qui déploient des technologies et impactent potentiellement les pertes d’emplois, pour qu’elles forment elles-mêmes les salariés dont les métiers risquent potentiellement d’être remplacés par des machines dans les prochaines années.




6. Le Prix IMT-Bercy

Dans le cadre du Prix Innovation Bercy-IMT, dans sa deuxieme edition 2019-2020, 10 start-up issues du reseau WeTechUp by IMT (qui incube 170 start ups par an), le reseau des incubateurs de l’Institut Mines-Telecom, étaient présentes sur le stand  commun WeTechUpbyIMT / La Tribune. Lors de la soirée Convergences du 7 janvier, soirée de remise des Prix Innovation Bercy-IMT, en présence d’Agnes Pannier-Runacher, Secretaire d’Etat auprès du Ministre de l’Economie et des Finances, ed’Odile Gauthier, directrice générale de l’Institut Mines-Télécom, et de l’écosystème d’innovation français via Business France. Le Prix Innovation Bercy-IMT est une triple accéleration France-USA, qui permet au meilleur de l’écosysteme entrepreneurial du réseau des incubateurs de l’IMT, WeTechUp by IMT, de se distinguer et d’accéder aux marchés nationaux, européens et internationaux en trois temps : Vivatechnology, le Prix Innovation Bercy-IMT, le CES. En 2020, les start-up gagnantes sont :

  • Vainqueur du prix IMT-Bercy : Packet AI

  • Prix smart industrie Hiboo

  • Prix smart building Denoize remis par Safran

  • Prix Santé AIItense remis par Deloitte

  • Prix coup de cœur Meyko remis par Bouygues Telecom

  • Prix énergie à Otonohnn remis par Enedis

L’an prochain, le prix Good in Tech, porté par la chaire Good in Tech sera remis lors du CES2021 !

Conclusion

Pour conclure, on peut se demander si l’Europe qui porte les valeurs de justice, d’autonomie des individus, de respect de la vie privée, d’égalité, n’est pas en train de se faire dominer encore une fois par les grands acteurs américains qui s’emparent des enjeux à la fois de privacy et de formation aux nouveaux métiers, et qui continuent à imposer de nouveaux usages et des technologies d’intelligence artificielle utilisant des données de plus en plus massives et intrusives sur la vie quotidienne des individus.  De beaux travaux en perspective pour la chaire Good in Tech !

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