How to fight against online disinformation?
Auriane Maxant, étudiante en master à Sciences Po, coordination par Christine Balagué, Professeur, Institut Mines-Télécom Business School, Titulaire Chaire Good in Tech |
29/07/2020 |
Le 22 décembre 2018, la loi contre la manipulation de l’information est promulguée en France. La même année, environ un tiers des Français reconnaissait avoir relayé de fausses informations [1]. La désinformation est un problème très répandu à travers le monde, largement favorisé par le développement des plateformes numériques et différents services digitaux. Résultant de manipulations volontaires ou d’erreurs non vérifiées, la propagation des « fake news » est un défi crucial du XXIème siècle.
Afin de réfléchir à comment lutter contre la désinformation en ligne, nous présenterons d’abord les différents enjeux de cette pratique, avant d’analyser des types de réponses qui existent, pour enfin proposer des solutions et des pistes de développement. Cette approche sera centrée sur la France, mais les difficultés rencontrées sont communes à de nombreux pays.
La désinformation, de par sa diffusion libre, concerne les individus à travers le monde quels que soient leur statut social et leur culture. Les théories complotistes et différentes « fake news » peuvent d’ailleurs permettre à des communautés transnationales de se créer, en particulier via les réseaux sociaux. Avec la circulation de fausses informations, différents dangers se présentent. Tout d’abord, au niveau des individus dont les renseignements sont erronés, des pratiques néfastes pour leur santé ou leur bien-être peuvent apparaitre. Il s’agit par exemple du cas de victimes de fausses informations sur des façons de placer leur argent, ou sur un soi-disant remède miracle qui s’avèrerait en réalité nocif. A l’inverse, beaucoup de prétendues divulgations sur les raisons pour lesquelles un médicament ou une pratique médicale seraient dangereux sont propagées sur internet, un exemple très répandu étant le mouvement anti-vaccin dont les adeptes sont pour la plupart persuadés que les vaccins ont pour but d’asservir la population et de la rendre malade. Le domaine scientifique, pourtant basé sur les faits et la vérification, est ainsi remis en question [2]. La désinformation peut donc directement nuire aux personnes, et biaiser leur consentement quant aux choix qui leur seraient proposées dans leur vie personnelle.
De manière plus large, l’utilisation de fausses informations, fausses images ou autres contenus truqués est un enjeu de taille pour les gouvernements. Internet est par exemple un élément crucial du recrutement djihadiste et à la radicalisation [3]. Le mensonge et la désinformation sont des outils politiques efficaces, car ils permettent d’insuffler le doute dans l’esprit de la population, de discréditer ses adversaires, et représentent ainsi une menace directe à la démocratie [4]. Certains pays n’hésitent d’ailleurs pas à pratiquer massivement la désinformation à l’encontre d’autres gouvernements, comme la Russie dont l’Internet Research Agency est accusée d’avoir interféré dans la campagne électorale présidentielle aux Etats-Unis en 2016 [5]. Par ailleurs, les partis politiques au sein d’un même Etat peuvent utiliser les plateformes en ligne pour diffuser officieusement des informations et des rumeurs sur leurs adversaires. Les réseaux en ligne permettent également à des actions anti-gouvernementales, des manifestations et mouvements de protestation de voir le jour et se développer. Si cela peut être bénéfique en permettant à la population de s’exprimer et de reprendre le pouvoir alors qu’elle se sent oppressée, il est également aisé pour des puissances extérieures d’influencer et alimenter ces actions, afin de servir des intérêts diplomatiques.
La désinformation en ligne est donc une menace pour les individus dans leur vie quotidienne mais représente également un enjeu géopolitique international. C’est pourquoi il est important de lutter contre la propagation de ces fausses informations. Les institutions comme des acteurs privés ont élaboré des stratégies pour répondre à ce problème.
A différentes échelles, les institutions tentent de lutter contre la propagation de fausses informations sur leur territoire. Les Etats, en premier lieu, mettent en place différents systèmes. Dans certains cas la stratégie adoptée contre la désinformation est, tout simplement, l’information. En effet, des sites internet spécialisés sont créés afin de constituer une ressource fiable pour les utilisateurs, à laquelle ils peuvent se référer et trouver des réponses à leurs questionnements. C’est le cas par exemple du site sante.fr, qui a vu le jour en 2016 en France à l’initiative du Ministère des Solidarités et de la Santé. Grâce à son moteur de recherche, il permet d’accéder à une sélection importante d’articles sur un sujet demandé, par exemple la migraine, issus de nombreux partenaires à la fois publics, tels que la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie, ou privés, comme l’Association Paralysés de France. L’intérêt de ce type de site est de permettre à l’utilisateur d’obtenir des informations venant de professionnels et d’organismes spécialisés. Cependant, cette initiative reste très peu connue du grand public, et après quatre ans de mise en service, la présence sur réseaux sociaux de sante.fr devrait seulement se mettre en place courant 2020. Un autre exemple de démarche étatique afin de lutter contre la désinformation dans le domaine de la santé en France est la plateforme désinfox coronavirus [6]. Cette dernière a vu le jour le 23 avril 2020, en plein coeur de la crise du Covid-19. Ce site, dont l’objectif annoncé est de permettre de « s’informer sur la désinformation », propose une sélection d’articles de presse publiés par différents médias français, et en particulier des articles de « fact-checking » qui démentent les rumeurs et fausses informations. Si l’initiative, qui cible expressément la désinformation, peut être jugée pertinente, le gouvernement doit faire face à de nombreuses critiques [7]. Entre autres, les journaux dont les articles figurent sur le site n’ont nullement été prévenus de ce projet, et d’importants médias français tels que Le Figaro sont exclus de la sélection, alors qu’ils sont censés représenter des sources fiables d’information.
L’Union Européenne, quant à elle, est à l’origine de réflexions sur le sujet de la désinformation, menant à des recommandations et des propositions d’action au sein de l’Union. Le 12 mars 2018, le “High-Level Expert Group on Fake News and Disinformation”[8], composé d’experts indépendants, a soumis un rapport sur la désinformation à la Commission européenne, ce qui a servi de base à l’institution afin de proposer des mesures transnationales [9], telles que la mise en place d’une plateforme européenne contre la désinformation. Si le sujet et ses enjeux semblent être sérieusement pris en considération par les institutions européennes, avec notamment la signature d’un « code de conduite » par de grands acteurs du numérique dont Facebook et Google [10], l’Union se retrouve limitée par des questions de souveraineté, ainsi que de diplomatie. La crise sanitaire du Covid-19 a notamment vu naître de nouvelles critiques envers les institutions européennes, puisqu’il leur est reproché d’avoir modifié un rapport accusant le gouvernement chinois d’avoir diffusé de fausses informations sur le virus, à la demande de ce dernier [11].
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), pour sa part, est présente sur les réseaux sociaux, en particulier au sujet de la vaccination. Avec la pandémie du coronavirus, l’activité de lutte contre la désinformation de l’organisation a été accentuée, avec des formats innovants pour ce type de démarche, tels que des vidéos diffusées sur le réseau Tik Tok, essentiellement utilisé par des adolescents [12]. L’OMS agit également en collaboration avec des entreprises du numérique comme Google et Youtube afin que celles-ci effectuent un filtrage des informations apparaissant sur leur plateforme. Néanmoins, les contenus partagés en ligne demeurent bien souvent invérifiés.
Des mesures institutionnelles existent donc, mais leur efficacité est limitée, notamment du fait de leur faible visibilité et par leur difficulté à être en prise avec la société et ses évolutions. C’est pourquoi des initiatives alternatives sont proposées, via les médias, des associations ou encore les réseaux sociaux eux-mêmes.
Les médias, dont la présence en ligne prend de plus en plus le pas sur leur existence en format matériel, sont les acteurs centraux de la lutte contre la désinformation. En plus de renforcer leurs cellules de vérification, ou « fact-checking », nombre d’entre eux ont ainsi développé leur propre outil de vérification, comme le journal Le Monde et son « décodex ». Ce dernier se veut simple et efficace dans son utilisation, qui consiste à entrer le lien URL d’un site internet dans la barre de recherches pour qu’un « avis » soit émis sur sa fiabilité. L’outil aégalement une vocation pédagogique en proposant des articles tels que « comment juger la fiabilité d’un site » ou encore « vérifier une rumeur qui circule sur les réseaux sociaux ». Dans un souci de transparence, la méthodologie utilisée par l’outil est facilement accessible. Il est en outre possible de télécharger un plug-in directement sur son moteur de recherche afin de vérifier les sites internet visités. Cette initiative, tout comme les différents outils du même type proposés par d’autres médias, semble donc répondre en tous points aux besoins de la lutte contre la désinformation. Toutefois, des limites subsistent, car tous les sites internet ne sont pas référencés, ce qui est notamment le cas de sante.fr, évoqué précédemment. De plus, la confiance des citoyens envers les médias étant relativement faible, il est possible de douter de la capacité de ce genre d’outil à atteindre les individus méfiants envers ces sources d’information, qui sont les plus à mêmes de faire confiance à des sites non fiables. C’est pourquoi d’autres projets, comme ceux d’associations visant à éduquer et sensibiliser à la désinformation dès le plus jeune âge, sont nécessaires. L’organisme privé indépendant Fondation de France, partant du constat que l’endoctrinement et la radicalisation se font dès l’âge de 11 ans, apporte son soutien à diverses associations qui oeuvrent auprès des collégiens en les éduquant aux médias et aux pratiques journalistiques [13]. Les réseaux sociaux, plateformes de choix pour la propagation des « fake news », sont toutefois en reste face à la désinformation. Leur action repose généralement sur la prévenance des utilisateurs qui, par leurs signalements de contenus problématiques ou la modération de certains groupes, parviennent à faire supprimer de la plateforme les fausses informations. Les différents réseaux demeurent toutefois largement critiqués pour leur manque de réactivité dans le domaine, ce qui s’inscrit dans une problématique plus large de protection des utilisateurs, puisque des contenus hautement violents et illégaux sont régulièrement mis en ligne et le restent souvent de nombreuses heures malgré les signalements effectués. Par ailleurs, les faux comptes et les robots ou « bots », générateurs de fausses informations, sont très largement répandus.
Des initiatives et tentatives de lutte contre la désinformation en ligne, institutionnelles comme privées, existent et se multiplient alors que les consciences s’éveillent face aux enjeux soulevés. Si certaines semblent très prometteuses, en particulier par leurs actions complémentaires, les mesures prises contre la prolifération des « fake news » sont dans leur ensemble insuffisantes. Il est donc nécessaire de réfléchir à de nouvelles solutions afin de répondre plus efficacement à la problématique.
L’éducation des plus jeunes est une étape importante de la lutte contre la désinformation. Néanmoins, les adultes, et plus particulièrement les générations n’ayant pas grandi avec les outils numériques, sont fortement exposés aux fausses informations, et manquent souvent de cet enseignement. Ceux qui maîtrisent le moins les nouvelles technologies n’ont pas forcément acquis les réflexes et l’esprit critique nécessaires à leur bonne utilisation. C’est pourquoi il est essentiel de multiplier les campagnes de sensibilisation aux bonnes pratiques du numérique afin de permettre le développement de comportements éclairés et conscients pour l’ensemble de la population. L’un des enjeux posés par les services digitaux est celui des algorithmes. Ceux-ci permettent de fluidifier l’expérience de l’utilisateur, notamment grâce à des suggestions en lien avec ses centres d’intérêt. Cependant, ce faisant, ils conditionnent l’entièreté des contenus proposés à l’individu, qui ne se retrouvera donc pas confronté à des points de vue différents, à de nouvelles perspectives pouvant nuancer son point de vue. Il serait donc intéressant de revoir le fonctionnement de ces algorithmes, afin d’éviter ce processus par lequel l’utilisateur ne pourra que renforcer son idée préexistante, voire même avoir l’impression qu’il s’agit de la pensée dominante et donc légitime en la matière, alors qu’il est en réalité victime de désinformation. L’objectif ici n’est pas de supprimer les algorithmes, car ils présentent des avantages qui permettent aux plateformes numériques d’être attractives, mais de les repenser dans une optique plus respectueuse de l’utilisateur et moins dangereuse [14]. Au-delà de leur fonctionnement même, les plateformes numériques abritent de nombreux comptes dont la vocation même est de relayer de fausses informations. Le réseau social Twitter a ainsi fait parler de lui au mois d’avril 2020, alors que des médias à travers le monde mettaient en garde leurs lecteurs sur le fait qu’une grande partie des tweets émis sur la plateforme au sujet du Covid-19 émanaient de faux comptes, postant des informations erronées sur le sujet [15]. Ces « bots » copient des messages tels qu’un utilisateur réel, humain, pourrait écrire, ce qui les rend indétectable pour l’utilisateur non averti, qui va lui accorder sa confiance. Le réseau social, qui n’est pas le seul concerné par cette situation, assure tenter d’identifier et supprimer ces comptes, mais la tâche n’est pas aisée et il en revient à l’utilisateur de rester vigilant. Il semble donc important d’améliorer les systèmes de filtrage des différentes plateformes, de manière à limiter au possible la création de ce genre de compte, et de ne pas être contraint à une politique de réaction, agissant une fois que l’opération néfaste a déjà été effectuée. Un facteur important de la désinformation est le manque de confiance dans les médias. En effet, dans une étude réalisée en 2016, environ 67% des sondés estimaient que les journalistes manquaient d’indépendance, et le constat global était à l’augmentation de la défiance [16]. Dans ce contexte, des projets tels que le collectif international de journalistes First Draft, dont le but est de proposer des « ressources pour la collecte et la vérification d’informations » [17] à l’intention de la société mais également des journalistes eux-mêmes, doivent être encouragés. Il en va de même pour la pratique du datajournalisme, qui consiste en l’exposition de faits objectifs, de données ou « data », permettant ensuite une analyse de phénomènes sociaux, tels que la radicalisation [18]. En repensant et renouvelant la pratique du journalisme, les professionnels de l’information pourront peut-être regagner la confiance de leur public, et ainsi lutter activement contre les « fake news ».
L’augmentation quantitative des sources d’information avec le développement du numérique a eu une incidence négative sur leur qualité. Tout un chacun a désormais la possibilité de partager des images et messages, de truquer des photos comme des vidéos, et de les faire passer pour des faits avérés. La prolifération des informations erronées est un danger pour les individus ainsi que pour la société en général et les gouvernements. Il est donc absolument nécessaire de lutter contre cette désinformation. Les institutions tout comme les acteurs privés mettent en place des actions afin d’augmenter la sécurité des informations, mais différents facteurs posent des limites à ces initiatives. Il apparait alors comme nécessaire de renforcer l’éducation aux services numériques et à leurs dangers, et de réfléchir autrement au fonctionnement de ces plateformes digitales. Les médias quant à eux, en tant qu’agents traditionnels de l’information, doivent se réinventer afin de se réaffirmer comme des sources de confiance pour les individus. Néanmoins, il en incombera aux différents acteurs de ce mécanisme de lutte contre la désinformation en ligne de veiller au bienfait des divers mécanismes mis en place afin de ne pas sombrer dans les affres d’un problème différent mais également dangereux : la censure et le contrôle de l’opinion.
Notes
Afin de réfléchir à comment lutter contre la désinformation en ligne, nous présenterons d’abord les différents enjeux de cette pratique, avant d’analyser des types de réponses qui existent, pour enfin proposer des solutions et des pistes de développement. Cette approche sera centrée sur la France, mais les difficultés rencontrées sont communes à de nombreux pays.
La désinformation, de par sa diffusion libre, concerne les individus à travers le monde quels que soient leur statut social et leur culture. Les théories complotistes et différentes « fake news » peuvent d’ailleurs permettre à des communautés transnationales de se créer, en particulier via les réseaux sociaux. Avec la circulation de fausses informations, différents dangers se présentent. Tout d’abord, au niveau des individus dont les renseignements sont erronés, des pratiques néfastes pour leur santé ou leur bien-être peuvent apparaitre. Il s’agit par exemple du cas de victimes de fausses informations sur des façons de placer leur argent, ou sur un soi-disant remède miracle qui s’avèrerait en réalité nocif. A l’inverse, beaucoup de prétendues divulgations sur les raisons pour lesquelles un médicament ou une pratique médicale seraient dangereux sont propagées sur internet, un exemple très répandu étant le mouvement anti-vaccin dont les adeptes sont pour la plupart persuadés que les vaccins ont pour but d’asservir la population et de la rendre malade. Le domaine scientifique, pourtant basé sur les faits et la vérification, est ainsi remis en question [2]. La désinformation peut donc directement nuire aux personnes, et biaiser leur consentement quant aux choix qui leur seraient proposées dans leur vie personnelle.
De manière plus large, l’utilisation de fausses informations, fausses images ou autres contenus truqués est un enjeu de taille pour les gouvernements. Internet est par exemple un élément crucial du recrutement djihadiste et à la radicalisation [3]. Le mensonge et la désinformation sont des outils politiques efficaces, car ils permettent d’insuffler le doute dans l’esprit de la population, de discréditer ses adversaires, et représentent ainsi une menace directe à la démocratie [4]. Certains pays n’hésitent d’ailleurs pas à pratiquer massivement la désinformation à l’encontre d’autres gouvernements, comme la Russie dont l’Internet Research Agency est accusée d’avoir interféré dans la campagne électorale présidentielle aux Etats-Unis en 2016 [5]. Par ailleurs, les partis politiques au sein d’un même Etat peuvent utiliser les plateformes en ligne pour diffuser officieusement des informations et des rumeurs sur leurs adversaires. Les réseaux en ligne permettent également à des actions anti-gouvernementales, des manifestations et mouvements de protestation de voir le jour et se développer. Si cela peut être bénéfique en permettant à la population de s’exprimer et de reprendre le pouvoir alors qu’elle se sent oppressée, il est également aisé pour des puissances extérieures d’influencer et alimenter ces actions, afin de servir des intérêts diplomatiques.
La désinformation en ligne est donc une menace pour les individus dans leur vie quotidienne mais représente également un enjeu géopolitique international. C’est pourquoi il est important de lutter contre la propagation de ces fausses informations. Les institutions comme des acteurs privés ont élaboré des stratégies pour répondre à ce problème.
A différentes échelles, les institutions tentent de lutter contre la propagation de fausses informations sur leur territoire. Les Etats, en premier lieu, mettent en place différents systèmes. Dans certains cas la stratégie adoptée contre la désinformation est, tout simplement, l’information. En effet, des sites internet spécialisés sont créés afin de constituer une ressource fiable pour les utilisateurs, à laquelle ils peuvent se référer et trouver des réponses à leurs questionnements. C’est le cas par exemple du site sante.fr, qui a vu le jour en 2016 en France à l’initiative du Ministère des Solidarités et de la Santé. Grâce à son moteur de recherche, il permet d’accéder à une sélection importante d’articles sur un sujet demandé, par exemple la migraine, issus de nombreux partenaires à la fois publics, tels que la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie, ou privés, comme l’Association Paralysés de France. L’intérêt de ce type de site est de permettre à l’utilisateur d’obtenir des informations venant de professionnels et d’organismes spécialisés. Cependant, cette initiative reste très peu connue du grand public, et après quatre ans de mise en service, la présence sur réseaux sociaux de sante.fr devrait seulement se mettre en place courant 2020. Un autre exemple de démarche étatique afin de lutter contre la désinformation dans le domaine de la santé en France est la plateforme désinfox coronavirus [6]. Cette dernière a vu le jour le 23 avril 2020, en plein coeur de la crise du Covid-19. Ce site, dont l’objectif annoncé est de permettre de « s’informer sur la désinformation », propose une sélection d’articles de presse publiés par différents médias français, et en particulier des articles de « fact-checking » qui démentent les rumeurs et fausses informations. Si l’initiative, qui cible expressément la désinformation, peut être jugée pertinente, le gouvernement doit faire face à de nombreuses critiques [7]. Entre autres, les journaux dont les articles figurent sur le site n’ont nullement été prévenus de ce projet, et d’importants médias français tels que Le Figaro sont exclus de la sélection, alors qu’ils sont censés représenter des sources fiables d’information.
L’Union Européenne, quant à elle, est à l’origine de réflexions sur le sujet de la désinformation, menant à des recommandations et des propositions d’action au sein de l’Union. Le 12 mars 2018, le “High-Level Expert Group on Fake News and Disinformation”[8], composé d’experts indépendants, a soumis un rapport sur la désinformation à la Commission européenne, ce qui a servi de base à l’institution afin de proposer des mesures transnationales [9], telles que la mise en place d’une plateforme européenne contre la désinformation. Si le sujet et ses enjeux semblent être sérieusement pris en considération par les institutions européennes, avec notamment la signature d’un « code de conduite » par de grands acteurs du numérique dont Facebook et Google [10], l’Union se retrouve limitée par des questions de souveraineté, ainsi que de diplomatie. La crise sanitaire du Covid-19 a notamment vu naître de nouvelles critiques envers les institutions européennes, puisqu’il leur est reproché d’avoir modifié un rapport accusant le gouvernement chinois d’avoir diffusé de fausses informations sur le virus, à la demande de ce dernier [11].
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), pour sa part, est présente sur les réseaux sociaux, en particulier au sujet de la vaccination. Avec la pandémie du coronavirus, l’activité de lutte contre la désinformation de l’organisation a été accentuée, avec des formats innovants pour ce type de démarche, tels que des vidéos diffusées sur le réseau Tik Tok, essentiellement utilisé par des adolescents [12]. L’OMS agit également en collaboration avec des entreprises du numérique comme Google et Youtube afin que celles-ci effectuent un filtrage des informations apparaissant sur leur plateforme. Néanmoins, les contenus partagés en ligne demeurent bien souvent invérifiés.
Des mesures institutionnelles existent donc, mais leur efficacité est limitée, notamment du fait de leur faible visibilité et par leur difficulté à être en prise avec la société et ses évolutions. C’est pourquoi des initiatives alternatives sont proposées, via les médias, des associations ou encore les réseaux sociaux eux-mêmes.
Les médias, dont la présence en ligne prend de plus en plus le pas sur leur existence en format matériel, sont les acteurs centraux de la lutte contre la désinformation. En plus de renforcer leurs cellules de vérification, ou « fact-checking », nombre d’entre eux ont ainsi développé leur propre outil de vérification, comme le journal Le Monde et son « décodex ». Ce dernier se veut simple et efficace dans son utilisation, qui consiste à entrer le lien URL d’un site internet dans la barre de recherches pour qu’un « avis » soit émis sur sa fiabilité. L’outil aégalement une vocation pédagogique en proposant des articles tels que « comment juger la fiabilité d’un site » ou encore « vérifier une rumeur qui circule sur les réseaux sociaux ». Dans un souci de transparence, la méthodologie utilisée par l’outil est facilement accessible. Il est en outre possible de télécharger un plug-in directement sur son moteur de recherche afin de vérifier les sites internet visités. Cette initiative, tout comme les différents outils du même type proposés par d’autres médias, semble donc répondre en tous points aux besoins de la lutte contre la désinformation. Toutefois, des limites subsistent, car tous les sites internet ne sont pas référencés, ce qui est notamment le cas de sante.fr, évoqué précédemment. De plus, la confiance des citoyens envers les médias étant relativement faible, il est possible de douter de la capacité de ce genre d’outil à atteindre les individus méfiants envers ces sources d’information, qui sont les plus à mêmes de faire confiance à des sites non fiables. C’est pourquoi d’autres projets, comme ceux d’associations visant à éduquer et sensibiliser à la désinformation dès le plus jeune âge, sont nécessaires. L’organisme privé indépendant Fondation de France, partant du constat que l’endoctrinement et la radicalisation se font dès l’âge de 11 ans, apporte son soutien à diverses associations qui oeuvrent auprès des collégiens en les éduquant aux médias et aux pratiques journalistiques [13]. Les réseaux sociaux, plateformes de choix pour la propagation des « fake news », sont toutefois en reste face à la désinformation. Leur action repose généralement sur la prévenance des utilisateurs qui, par leurs signalements de contenus problématiques ou la modération de certains groupes, parviennent à faire supprimer de la plateforme les fausses informations. Les différents réseaux demeurent toutefois largement critiqués pour leur manque de réactivité dans le domaine, ce qui s’inscrit dans une problématique plus large de protection des utilisateurs, puisque des contenus hautement violents et illégaux sont régulièrement mis en ligne et le restent souvent de nombreuses heures malgré les signalements effectués. Par ailleurs, les faux comptes et les robots ou « bots », générateurs de fausses informations, sont très largement répandus.
Des initiatives et tentatives de lutte contre la désinformation en ligne, institutionnelles comme privées, existent et se multiplient alors que les consciences s’éveillent face aux enjeux soulevés. Si certaines semblent très prometteuses, en particulier par leurs actions complémentaires, les mesures prises contre la prolifération des « fake news » sont dans leur ensemble insuffisantes. Il est donc nécessaire de réfléchir à de nouvelles solutions afin de répondre plus efficacement à la problématique.
L’éducation des plus jeunes est une étape importante de la lutte contre la désinformation. Néanmoins, les adultes, et plus particulièrement les générations n’ayant pas grandi avec les outils numériques, sont fortement exposés aux fausses informations, et manquent souvent de cet enseignement. Ceux qui maîtrisent le moins les nouvelles technologies n’ont pas forcément acquis les réflexes et l’esprit critique nécessaires à leur bonne utilisation. C’est pourquoi il est essentiel de multiplier les campagnes de sensibilisation aux bonnes pratiques du numérique afin de permettre le développement de comportements éclairés et conscients pour l’ensemble de la population. L’un des enjeux posés par les services digitaux est celui des algorithmes. Ceux-ci permettent de fluidifier l’expérience de l’utilisateur, notamment grâce à des suggestions en lien avec ses centres d’intérêt. Cependant, ce faisant, ils conditionnent l’entièreté des contenus proposés à l’individu, qui ne se retrouvera donc pas confronté à des points de vue différents, à de nouvelles perspectives pouvant nuancer son point de vue. Il serait donc intéressant de revoir le fonctionnement de ces algorithmes, afin d’éviter ce processus par lequel l’utilisateur ne pourra que renforcer son idée préexistante, voire même avoir l’impression qu’il s’agit de la pensée dominante et donc légitime en la matière, alors qu’il est en réalité victime de désinformation. L’objectif ici n’est pas de supprimer les algorithmes, car ils présentent des avantages qui permettent aux plateformes numériques d’être attractives, mais de les repenser dans une optique plus respectueuse de l’utilisateur et moins dangereuse [14]. Au-delà de leur fonctionnement même, les plateformes numériques abritent de nombreux comptes dont la vocation même est de relayer de fausses informations. Le réseau social Twitter a ainsi fait parler de lui au mois d’avril 2020, alors que des médias à travers le monde mettaient en garde leurs lecteurs sur le fait qu’une grande partie des tweets émis sur la plateforme au sujet du Covid-19 émanaient de faux comptes, postant des informations erronées sur le sujet [15]. Ces « bots » copient des messages tels qu’un utilisateur réel, humain, pourrait écrire, ce qui les rend indétectable pour l’utilisateur non averti, qui va lui accorder sa confiance. Le réseau social, qui n’est pas le seul concerné par cette situation, assure tenter d’identifier et supprimer ces comptes, mais la tâche n’est pas aisée et il en revient à l’utilisateur de rester vigilant. Il semble donc important d’améliorer les systèmes de filtrage des différentes plateformes, de manière à limiter au possible la création de ce genre de compte, et de ne pas être contraint à une politique de réaction, agissant une fois que l’opération néfaste a déjà été effectuée. Un facteur important de la désinformation est le manque de confiance dans les médias. En effet, dans une étude réalisée en 2016, environ 67% des sondés estimaient que les journalistes manquaient d’indépendance, et le constat global était à l’augmentation de la défiance [16]. Dans ce contexte, des projets tels que le collectif international de journalistes First Draft, dont le but est de proposer des « ressources pour la collecte et la vérification d’informations » [17] à l’intention de la société mais également des journalistes eux-mêmes, doivent être encouragés. Il en va de même pour la pratique du datajournalisme, qui consiste en l’exposition de faits objectifs, de données ou « data », permettant ensuite une analyse de phénomènes sociaux, tels que la radicalisation [18]. En repensant et renouvelant la pratique du journalisme, les professionnels de l’information pourront peut-être regagner la confiance de leur public, et ainsi lutter activement contre les « fake news ».
L’augmentation quantitative des sources d’information avec le développement du numérique a eu une incidence négative sur leur qualité. Tout un chacun a désormais la possibilité de partager des images et messages, de truquer des photos comme des vidéos, et de les faire passer pour des faits avérés. La prolifération des informations erronées est un danger pour les individus ainsi que pour la société en général et les gouvernements. Il est donc absolument nécessaire de lutter contre cette désinformation. Les institutions tout comme les acteurs privés mettent en place des actions afin d’augmenter la sécurité des informations, mais différents facteurs posent des limites à ces initiatives. Il apparait alors comme nécessaire de renforcer l’éducation aux services numériques et à leurs dangers, et de réfléchir autrement au fonctionnement de ces plateformes digitales. Les médias quant à eux, en tant qu’agents traditionnels de l’information, doivent se réinventer afin de se réaffirmer comme des sources de confiance pour les individus. Néanmoins, il en incombera aux différents acteurs de ce mécanisme de lutte contre la désinformation en ligne de veiller au bienfait des divers mécanismes mis en place afin de ne pas sombrer dans les affres d’un problème différent mais également dangereux : la censure et le contrôle de l’opinion.
Notes
- [1] « "Fake news" : 30% des Français reconnaissent avoir déjà relayé des infox », Thomas Pontillon, France info, publié le 31 janvier 2019
- [2] Sophie Carenco. Luttons contre la désinformation scientifique. L’Actualité Chimique, Société chimique de France, 2018. ffhal-02372978f (hal.sorbonne-universite.fr/hal-02372978/file/218-429-mai-p17-intro-carenco-hd.pdf)
- [3] « Quel rôle jour internet dans la radicalisation ? » : http://www.stop-djihadisme.gouv.fr/radicalisation/mecanismes-radicalisation/quel-role-joue-internet-radicalisation
- [4] « A Brief History of Bullshit: Why We've Learned to Ignore Truth », Eva Illouz, Haaretz, publié le 14 septembre 2019 ; traduit et relayé sous « Il n’y a pas de démocratie possible sans vérité », Courrier International, publié le 2 novembre 2019
- [5] DiResta, R., Shaffer, K., Ruppel, B., Sullivan, D., Matney, R., Fox, R., Johnson, B. (2018). The Tactics & Tropes of the Internet Research Agency.: https://cdn2.hubspot.net/hubfs/4326998/ira-report-rebrand_FinalJ14.pdf
- [6] gouvernement.fr/info-coronavirus/desinfox
- [7] « Pourquoi le site gouvernemental ‘Désinfox coronavirus’ suscite un malaise ? », Richard Sénéjoux, Télérama, publié le 4 mai 2020 ; « ‘Désinfox coronavirus’ : le gouvernement défend son site contre les ‘fake news’ », Huffpost, publié le 2 mai 2020
- [8] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_18_1746
- [9] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_18_3370
- [10] https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20191007IPR63550/lutte-de-l-ue-contre-la-desinformation-et-l-ingerence-electorale-etrangere
- [11] « Pékin a pressé l’UE de ne pas dénoncer de désinformation sur le virus », Le Figaro, publié le 25 avril 2020
- [12] « Les réseaux sociaux, au coeur de la lutte de l'OMS contre les idées reçues sur le coronavirus », Le Figaro, publié le 1er mai 2020
- [13] https://www.fondationdefrance.org/fr/lutter-contre-la-desinformation-pour-prevenir-la-radicalisation
- [14] « Civic tech, fake news : les algorithmes, amis ou ennemis de la démocratie ? », Nicolas Martin, émission France Culture : La Méthode Scientifique, épisode du 22 février 2019
- [15] « SPREADING DREAD: Army of ‘coronavirus bots’ on Twitter are spreading fake news and scare stories about COVID-19», Charlotte Edwards, The Sun Uk, publié le 2 avril 2020
- [16] « La défiance envers les médias s’accentue », Alexis Delcambre, Le Monde, publié le 2 février 2017
- [17] https://firstdraftnews.org/
- [18] « Le data journalisme, une chance pour la presse », Bruno Breton, Les Echos, publié le 24 mai 2018
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