La 5G est-elle une innovation numérique responsable ?

Victor Romain, étudiant M1 Sciences Po EMI, coordination par Christine Balagué, Professeur, Institut Mines-Télécom Business School, Titulaire Chaire Good in Tech

02/06/2020

La première semaine d’avril 2020 a été marquée par un phénomène surprenant : de nombreuses antennes diffusant la 5G ont été brûlées au Royaume-Uni, la 5G étant considérée par certains individus comme corrélée à la propagation du coronavirus dans le pays. Tom Phillips, journaliste à the Guardian et responsable du fact-checking de l’actualité, a fait état de la diversité des fake news associées au déploiement de la 5G Outre-Manche : « Certaines théories affirment que la 5G aggrave le Covid-19, d’autres que les symptômes du coronavirus sont causés par la 5G, et d’autres encore racontent carrément que l’épidémie a été inventée pour cacher l’installation de la 5G [1]». Bien que ces théories du complot aient été démenties par les scientifiques, la diffusion de telles fake news prouve que la nouveauté apportée par la 5G suscite des inquiétudes et de nombreuses questions, ainsi qu’un manque de connaissance sur son fonctionnement.

La 5G (comprendre « 5ème Génération » de technologie de la téléphonie mobile) est une technologie pour le moins alléchante : un débit de connexion par 10 fois supérieur à celui de la 4G, une réactivité accrue permettant une expérience de navigation plus agréable, la promesse d’un réseau couvrant plusieurs objets connectés simultanément… En somme, une multitude d’avantages qui marque une étape supplémentaire dans un monde toujours plus connecté. Toutefois, le fait que la 5G tend à couvrir l’ensemble de la société et non plus seulement les opérateurs de téléphonie mobile la rend plus responsable. Il est alors pertinent de se demander si la 5G est une nouveauté numérique qui doit, d’une certaine manière, rendre des comptes à l’opinion publique et si oui sur quels aspects spécifiques ? Nous explorerons les domaines de la pollution numérique (I), de la santé (II), de l’économie et du social (III) et de la sécurité des données personnelles (IV).

 

I - Pollution numérique

Un des axes principaux de développement de la 5G se trouve dans l’amélioration de l’Iot (Internet of things) au travers d’objets du quotidien nouvellement connectés sur ce réseau unique. Il s’agira par exemple de lampes, volets, voitures… connectés et représentant une nouvelle quantité
de données ayant besoin d’être absorbée par des antennes 5G. En premier lieu, l’innovation de la 5G empêchera les millions d’antennes installées de se mettre en mode veille : par définition elle connecte ensemble des objets utilisés quotidiennement par des millions d’utilisateurs et ce de manière permanente. La quantité d’énergie ainsi utilisée sera toujours plus croissante. Par ailleurs, les objets n’étant pas connectés vont devenir assez rapidement obsolètes dans une dizaine d’années, alourdissant un bilan écologique déjà mauvais. Il sera dès lors nécessaire de détruire ces objets, qui pour la plupart sont très peu recyclables (smartphones notamment). La production de nouveaux appareils, en revanche, nécessitera toujours plus de nouveaux matériaux ayant de lourds coûts humains du fait de leur extraction l’approvisionnement en « minerais de sang » (or, étain, tungstène et tantale) se fait dans des conditions déplorables et s’additionne aux coûts environnementaux dus au transport des smartphones [2]. L’un des coûts les plus conséquents sera celui de l’énergie. En effet, il est estimé que l’IoT représentera 15% de la production électrique mondiale. La 5G sera somme toute très énergivore.

La pollution numérique s’étend même au champ spatial : la construction et l’envoi de 20 000 satellites en orbite constitue une autre inquiétude. Tout d’abord l’envoi des fusées sera coûteuse pour l’environnement : les lancements appauvrissent l’ozone dans l’atmosphère et rejettent de la suie noire. Bien qu’une fusée soit capable de mettre en orbite un grand nombre de satellites, les dommages environnementaux pourraient être 10 à 20 fois plus importants que ceux occasionnés actuellement. Ces dégâts n’incluent pas encore l’obsolescence des satellites : ces derniers ont une durée de vie estimée à peu près à 5 ans, puis les satellites tombant dans l’atmosphère brûleront et leurs composants vont s’éparpiller dans l’atmosphère.

En tout état de cause, peu d’informations sont données quant à l’impact environnemental des serveurs et la durée des vies des capteurs 5G par les acteurs de la 5G eux-mêmes. Dans le cadre d’une démarche responsable, la société est en droit d’attendre une réponse précise à ces sujets et un impact bénéfique de la 5G supérieur à son coût environnemental.

 

II - Inquiétudes sanitaires

La 5G se caractérise par une utilisation accrue des fréquences. Elle passe au moyen de plusieurs bandes passantes réunissant les anciennes ondes utilisées (de l’ordre de 700MHz) et les nouvelles servant le haut débit et le très haut débit (jusqu’à 48GHz). De cette manière, tout le monde sera beaucoup plus exposé aux rayonnements des radiofréquences, et ce 24h/24. Toutefois, il n’a pas encore été prouvé scientifiquement par les acteurs de la 5G (fabricants d’équipements téléphoniques et instances gouvernementales) que les rayonnements ont un effet nocif sur la santé. Beaucoup avancent que les fréquences sont susceptibles de provoquer des cancers divers, troubles neurologiques, maladies cardio-vasculaires…particulièrement chez les enfants et femmes enceintes. Même si aucun de ces phénomènes n’a été prouvé, les entreprises actrices de la 5G manquent d’anticipation et sont biaisées dans leur jugement. A titre d’exemple, Orange a mis en place un « Vrai/Faux » relatif au développement de la 5G et aux idées reçues concernant ses conséquences sanitaires : il paraît évident que l’entreprise dément les propos concernant les failles de cette nouvelle technologie. Cependant, si après son déploiement la 5G s’avère nocive pour la santé des individus, un retour en arrière paraît peu envisageable ou en tout cas très coûteux au
regard des investissements effectués. Ce problème d’auto-évaluation de la part des entreprises et de manque d’anticipation ne s’inscrivent pas dans une démarche responsable du point de vue de la santé des utilisateurs.

 

III - La 5G et le marché : conséquences socio-économiques

Le développement de la 5G conduirait, selon le cabinet IHS Markit [3], à une contribution économique de 3,6 milliards de dollars ainsi que la création de 22,3 millions d’emplois en 2035 à l’échelle planétaire. Ainsi, la 5G est bénéfique aux premiers abords, notamment lorsqu’il s’agit de tout automatiser. Cependant, cette automatisation pose la question sous-jacente de la suppression d’emplois, notamment dans le secteur industriel : « l’usine 4.0 » sera faite d’outils connectés et supprimera les derniers ouvriers. En effet, les chaînes de montage totalement automatisées ne protestent pas, travaillent jours et nuits à des cadences très élevées et n’émettront pas de plainte sur des éventuels manques de vacances ou des salaires trop faibles. Ainsi, le choix entre le travailleur humain et la machine connectée à la 5G se fera rapidement pour les gérants d’entreprise. La 5G n’affectera pas seulement le secteur de l’industrie mais également celui de la santé. L’application de cette technologie est notamment envisagée dans des opérations diverses, aujourd’hui impensables pour les chirurgiens. Toutefois, les études menées n’évaluent pas le coût médical réel induit par le déploiement de la 5G : en effet s’il s’avère qu’elle provoque des effets nocifs sur la santé, les coûts de recherches et de soin pour les nouvelles maladies sera croissant. Enfin, la 5G a un coût social qui n’est pas encore totalement reconnu par les institutions : il s’agit de l’isolation due à L’Electro Hyper Sensibilité (EHS). Reconnue par l’OMS, le Parlement Européen et certaines villes américaines comme une intolérance physiologique, ce phénomène peut créer des troubles dus à l’exposition aux champs électromagnétiques. Certaines personnes ne pourront donc plus aller travailler ou simplement vivre normalement à cause de la couverture totale du réseau 5G : cela pourrait créer à terme l’isolement de ces individus, doublé par un inconfort de vie substantiel. Le manque d’étude sérieuses sur cette pathologie a enjoint les fabricants télécoms à l’ignorer, ce qui a pour conséquence d’éliminer une catégorie de parties prenantes aux débats de la 5G : les victimes de l’EHS. Le propre de la responsabilité dans la mise en place d’une telle innovation numérique se situe dans la place donnée à toutes les parties prenantes : concernant la 5G, l’exclusion de ce type d’acteur conduit de nouveau à un certain manque de responsabilité.

 

IV - Données personnelles et sécurité via la 5G

La 5G, par son inter connectivité accrue, va générer de plus en plus de relations entre le réseau, les appareils et les utilisateurs concernés. De cette manière, les échanges de données seront plus nourris que ceux qui transitent actuellement. Malgré les nombreux avantages que présente la 5G, elle ne garantit pas une sécurité supplémentaire par rapport aux réseaux et technologies actuelles de nos appareils. La flexibilité et la vitesse augmentées de cette technologie présentent au contraire de nouvelles voies d’attaque possibles à un rythme plus élevé. Nous pouvons par exemple imaginer que les voitures ou appareils électroménagers seront des portes d’accès vers des données provenant de leur utilisateur. Par conséquent, il est important d’adopter une attitude prudente avec la 5G : en effet, la sécurisation de l’IoT et du BYOD (Bring Your Own Device, soit l’utilisation d’appareils personnels dans le cadre d’un usage professionnel) représente un chantier colossal. Se prémunir en amont du déploiement de la 5G est ainsi essentiel.

L’ARCEP [4] (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) a notamment engagé un dialogue autour de la question de la sécurité procurée par la 5G avec les opérateurs afin de peser les pour et contre de cette nouvelle technologie. La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) a également eu l’occasion de participer à ce débat. Au-delà de ces discussions actives sur la portée de la 5G dans l’échanges d’informations, cette technologie sera de fait incluse dans le cadre de deux régimes de protection de la vie privée. En premier lieu, la 5G sera soumise au respect du secret des correspondances, c’est-à-dire qu’une tierce personne (ici les opérateurs télécoms de la 5G) ne peut pas prendre connaissance d’un message ou d’une information à caractère privée sans le consentement de l’émetteur. Ce cadre est d’autre part renforcé par le Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) en Europe. Finalement, la loi française s’est renforcée afin d’assurer un meilleur niveau de sécurité concernant les réseaux 5G. L’Agence Nationale de Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI) a mis en place un nouveau dispositif visant à contrôler les équipements télécoms [5]. Il s’agit notamment de travailler en coopération avec l’Union Européenne pour garantir à la fois une responsabilité de chaque État membre dans le déploiement des réseaux 5G, mais aussi l’établissement à l’échelle européenne de bonnes pratiques et outils facilitant l’exécution de la responsabilité. Ainsi, la « Tool Box 5G » présentée par la Commission Européenne le 29 janvier 2020 répond en partie aux attentes de responsabilité vis-à-vis de la 5G, bien qu’un contrôle à priori ne peut s’avérer suffisant et les premières expériences d’utilisation de la 5G seront cruciales pour aider le bon développement de cette « Tool Box 5G ». Ce dispositif facilitera notamment les réponses nationales aux débats posés par cette technologie.

Concernant la France, la loi N°2019-810 du 1er août 2019 [6] ainsi que le décret N°2019-1300 du 6 décembre 2019 [7] appuient cette volonté d’appliquer une responsabilité étatique au déploiement de la 5G. En effet, elles disposent que l’exploitation par les opérateurs télécoms d’appareils
d’infrastructures des réseaux 5G sera soumis à l’autorisation explicite du Premier Ministre.

 

Conclusion et remarques personnelles

Les politologues Yves Sintomer et Christophe Bonneuil, dans la préface du livre Choix technologiques, choix de société de Richard Sclove, énoncent : « les systèmes techniques sont des structures politiques en ce sens qu’ils ouvrent et contraignent les choix de vie et d’organisation qu’une société peut se donner ». En fait, la responsabilité au sens de l’accountability dans l’innovation numérique qu’est la 5G est d’ores et déjà posée : au regard de sa large zone d’application, elle affectera notre quotidien et aiguillera nos choix de société. La 5G est ainsi responsable car redevable à l’opinion publique, à l’instar d’une structure politique. Quant est-il de sa responsabilité dans les aspects environnementaux, sanitaires, socio économiques et sécuritaire ? Si nous nous fions à une définition académique rigoureuse de la responsabilité des innovations [8], la 5G doit être évaluée selon 4 critères : l’anticipation, la réflexivité, l’inclusion de toutes les parties prenantes et la réactivité de l’innovation face à divers événements et retours d’expérience. En définitive, selon mon opinion, la 5G paraît uniquement responsable sur les sujets relatifs à la sécurité et à la protection des données dans le cadre européen et national. Dans les domaines environnementaux, sanitaires et socio-économiques, nous observons des faiblesses d’anticipation par les fabricants des appareils et réseaux 5G ainsi que l’exclusion de certaines parties prenantes. Le déploiement déjà amorcé rend la 5G irresponsable sur une question majeure : si les études prouvent que le trop-plein de radiofréquence est nocif pour la santé, un retour en arrière est-il envisageable ? Est-il actuellement déjà trop tard ?
 

Notes 

[1]  « Accusées de propager le coronavirus, des antennes 5G incendiées au Royaume-Uni. » L'Obs. Published April 7, 2020.

[2] « Les impacts du smartphone ». Rapport de L’ADEME

[3] « La 5G contribuerait de 3 600 milliards de dollars à l'économie mondiale en 2035 - Télécoms. » Published November 12, 2019.

[4] « Parlons 5G : toutes vos questions sur la 5G ».

[5] « La France accueille favorablement la publication de la " boîte à outils 5G " ». ANSSI.

[6] LOI n° 2019-810 du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles. Legifrance

[7] Décret n° 2019-1300 du 6 décembre 2019 relatif aux modalités de l'autorisation préalable de l'exploitation des équipements de réseaux radioélectriques prévue à l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques. Legifrance

[8] Stilgoe J, Owen R, Macnaghten P. “Developing a framework for responsible innovation. Research Policy”..
Published June 13, 2013.

Sources

• « Accusées de propager le coronavirus, des antennes 5G incendiées au Royaume-Uni. » L'Obs. Published April 7, 2020.
• « Les impacts du smartphone ». Rapport de L’ADEME
• « La 5G, d'accord, mais pourquoi ? » Podcast France Culture. https://www.franceculture.fr/emissions/la-transition/la-5g-daccord-mais-pourquoi. Published February 20, 2020
• « Être ou ne pas être une innovation responsable ? » I'MTech.
https://blogrecherche.wp.imt.fr/2018/06/19/innovation-responsable/. Published October 23, 2018.
• « Parlons 5G : toutes vos questions sur la 5G ». Arcep.  https://www.arcep.fr/nossujets/la-5g.html.
• « La 5G contribuerait de 3 600 milliards de dollars à l'économie mondiale en 2035 - Télécoms. » Published November 12, 2019.
• « La France accueille favorablement la publication de la " boîte à outils 5G " ». ANSSI. https://www.ssi.gouv.fr/actualite/la-france-accueille-favorablement-la-publication-de-laboite- a-outils-5g/.
• LOI n° 2019-810 du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles. Legifrance
• Décret n° 2019-1300 du 6 décembre 2019 relatif aux modalités de l'autorisation préalable de l'exploitation des équipements de réseaux radioélectriques prévue à l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques. Legifrance
• Stilgoe J, Owen R, Macnaghten P. “Developing a framework for responsible innovation. Research Policy”. Published June 13, 2013.

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